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OMM : Un rapport cuisant.

Icebergs au large de Portal Point, Antarctique (2020).

Bonjour à tous.tes !

Alors, j’avais initialement prévu de vous parler d’un article scientifique paru dans Nature il y a quelques jours, et qui aborde la question des incertitudes liées à la modélisation des calottes polaires. Mais tandis que j’avais rédigé ma pastille, j’ai vu surgir le dernier rapport de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), daté du 19 Mars dernier. Après l’avoir parcouru, j’ai finalement décidé que la modélisation des calottes polaires attendra pour une prochaine fois !

Alors, pourquoi un tel revirement ?
Parce que ce rapport de l’OMM est tout bonnement accablant.

2023, l’année de tous les records

Pour le dire simplement, l’année 2023 a littéralement explosé tous les records en termes d’indicateurs climatiques. Température, vagues de chaleur océaniques, concentrations en gaz à effets de serre, extension de la banquise antarctique, taux de fonte des glaciers et des calottes polaires, hausse du niveau de la mer, incertitude alimentaire, migrations de populations exacerbées par le changement climatique. Cette année, le monde a pris cher. Vraiment très cher.

Au point que le directeur de l’institut Goddard de la NASA, spécialiste des observations et études climatiques, a lui-même concédé mi-mars, dans le magazine Nature, une tribune intitulée : « Climate models can’t explain 2023’s huge heat anomaly — we could be in uncharted territory » L’augmentation de 0,2°C en un an est tout simplement du jamais vu.

En guise de première illustration, je vous reproduis ci-dessous les variations de températures à la surface de la Terre, entre 1850 et 2023, publiées dans le rapport en question :

Anomalies de température (relative à 1850-1900) de 1850 à 2023 selon plusieurs provenances. (Source : OMM)


Comme vous pouvez le voir, en 2023, la température était d’environ 1,45°C au-dessus de la moyenne 1850-1900. À 0,05°C de la limite des 1,5°C fixée par la COP21 et l’accord de Paris. Les différentes couleurs vous montrent d’ailleurs que tous les jeux de données, observations et modèles sont d’accord entre eux. Cette hausse a certes été accrue par le déclenchement d’un événement El Niño, lequel devrait se poursuivre pendant plusieurs mois ou années (voir image ci-dessous. source : NOAA). Mais les températures augmentaient déjà largement plusieurs mois avant le déclenchement d’El Niño, ce qui laisse les scientifiques pantois.


Indicateur climatique ENSO (El Nino Southern Oscillation), montrant les phases positives d'El Nino (en rouge) et les phases négatives (en bleu).
(source :  NOAA)

En conséquence de ce réchauffement, le contenu thermique de l’océan, c’est-à-dire la quantité d’énergie stockée dans les océans, a lui aussi augmenté, atteignant une valeur jamais vue depuis 65 ans et le début des observations (voir figure ci-dessous pour la tendance générale). La valeur de 2022 a ainsi été dépassée de 13 zetaJoule (ZJ). Pour mieux visualiser, dites-vous que 13ZJ, c’est environ 1000 fois la production annuelle des réacteurs nucléaires mondiaux. Cette quantité d’énergie injectée dans l’océan aura des conséquences sur des siècles, voire des millénaires, quand bien même nos émissions cesseraient aujourd’hui même.

Anomalies du Contenu Thermique de l'Océan sur la première couche océanique, entre 0 et 2000m de profondeur, provenant de plusieurs sources de données. (Source : OMM)

Il faut également savoir que les océans stockent 90% de l’excès de chaleur accumulée depuis les années 70 et environ 25% de nos émissions de CO2. Le rapport de l’OMM détaille à quel point les conséquences de ces stockages sont graves :
    • les canicules marines sont devenues plus fréquentes, plus intenses et plus longues, en particulier sur la fin de l’année 2023, en Atlantique nord, où les anomalies de température ont dépassé les +3°C
    • l’acidification de l’eau, causée par la captation du CO2 par l’océan affecte largement les organismes marins et les écosystèmes, avec des effets secondaires lourds. Une étude parue en février dernier dans le magazine Royal Society Open Science (Cheeseman et al., 2024) dresse un constat alarmant sur les populations de baleines à bosse du Pacifique Nord, et estime que 7000 individus seraient morts en 9 ans, conséquence de ces bouleversements océaniques.

À ce stade, il y a plein d’autres éléments qu’il faudrait aborder, et ce que je ne ferais pas ici, pour ne pas vous noyer sous les informations. Mais sachez que tout le rapport de l’OMM est dans la même veine. La situation est urgente, plus qu’urgente.

Petite parenthèse : si je parle de tout ça en mode sirène d’alarme, c’est parce qu’un ami m’a récemment fait part d’une étude de l’Obsoco (Observatoire de la Consomation Responsable), dans laquelle est présente la diapositive suivante :

(Source : OBSOCO)

Cette diapositive montre l’évolution de nos actions en faveur de l’environnement, entre 2021 et 2023 (pour un panel représentatif de 4000 Français). On y constate un franc recul dans plusieurs de nos habitudes et dans divers domaines (conservation des équipements électriques, consommation, achats de produits d’origine lointaine, etc.). La dynamique des Français, dans ce secteur, a régressé. Il faut donc se remonter les manches et prendre ce problème à bras le corps !

La finance, le nerf de la guerre.

Les impacts de ce réchauffement seront terribles, et le coût pour l’atténuer et s’y adapter le sera également. Sur la figure ci-dessous, on constate qu’en 2021-2022, 1 265 milliards de dollars ont été fléchés sur des thématiques liées au changement climatique (courbe verte). Entre 2022 et 2030, il faudrait injecter 8 000 à 9 000 milliards de dollars par an (courbe jaune), si on veut limiter le réchauffement à 1,5°C.

Coût de l'adaptation au changement climatique pour un scénario à 1.5°C (jaune) par rapport au financement actuel (vert). (Source : OMM)

La transition est énorme et pourrait paraître impossible à réaliser. Mais sachez que le coût de l’inaction, lui, serait encore plus élevé. Selon l’OMM, celui-ci atteindrait environ 16 800 milliards de dollars par an entre 2025 et 2100. Et encore, ce chiffre ne prend pas en compte les pertes liées à la nature, à la biodiversité, ni n’intègre les effets sur l’économie des conflits et des migrations.

La Climate Policy Initiative le résume parfaitement : « La maison est en feu, et les efforts actuels s'apparentent à l'utilisation d'un pistolet à eau [...]. Ces coûts ne feront qu'augmenter à mesure que la planète se réchauffera. »

En conclusion, c’est pas la grande folie.

Mais avant de clore cette pastille, j’aimerais attirer votre attention sur le fait qu’en juin prochain, nous serons amenés à voter pour les élections européennes. Voter pour une liste qui considère la lutte contre le changement climatique et ses conséquences comme une base structurante de son projet politique est vital. Le Green Deal, vaste projet de verdissement de l’Europe dans lequel s’inscrit la réduction des émissions de 55 % d’ici 2030 et la neutralité carbone en 2050, est en train d’être minutieusement détricoté par les partis d’extrême droite et autres conservateurs, ainsi que les lobbys qui se pressent dans les instances européennes. Mais le changement climatique et les catastrophes humaines qu’il engendre ne sont pas une opinion politique. Ce sont des faits scientifiques. Les occulter ne les fera pas disparaître.

Quant aux générations suivantes, elles ne nous pardonneront pas d’avoir laissé faire. D’autant plus si notre action se réduit à un minuscule petit bulletin.

Vous pouvez trouver toutes les informations sur ce vote ici : https://elections.europa.eu/fr/


Sources :

 

https://wmo.int/publication-series/state-of-global-climate-2023

https://www.climatepolicyinitiative.org/the-cost-of-inaction/

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/20/green-deal-ne-nous-resignons-pas-au-lent-detricotage-de-l-ambition-environnementale-europeenne_6223001_3232.html

T. Cheeseman et al., “Bellwethers of change: population modelling of North Pacific humpback whales from 2002 through 2021 reveals shift from recovery to climate response,” Royal Society Open Science, vol. 11, no. 2, Feb. 2024.

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