La glaciologie est ce mélange d'observation et de réflexion, une science autant qu'un objet d'admiration ; pour toi qui te délectes de ces informations techniques et passionnantes, tu trouveras ici quelques lignes d'écoulements, des crevasses en séries et, peut-être, un peu de poésie.

GLACIOLOGIE, GLACIERS EMISSAIRES ET ICEBERGS

English, see below      -      Mise à jour : Janvier 2019

Les calottes polaires face au réchauffement climatique

Projection de l’évolution du niveau moyen des mers au cours du XXIe siècle par rapport à la période 1986-2005, pour deux scénarios d’émission de gaz à effet de serre (scénario « optimiste » en bleu, « pessimiste » en rouge). Source : Giec
Projection de l’évolution du niveau moyen des mers au cours du XXIe siècle par rapport à la période 1986-2005, pour deux scénarios d’émission de gaz à effet de serre (scénario « optimiste » en bleu, « pessimiste » en rouge). Source : Giec

Les calottes polaires représentent 90 % du stockage de glace sur Terre et recouvrent 10 % de la surface terrestre. Ces masses de glace sont formées par des précipitations de neige sur le socle rocheux et s’écoulent sous l’effet de la gravité jusqu’à l’océan, où elles s’évacuent par fonte et par décharge d’icebergs. Les études scientifiques ont souligné d’étroites corrélations entre le volume des calottes, le niveau des océans et la concentration de dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre et facteur d’augmentations de la température. Ces considérations illustrent le rôle fondamental des calottes polaires sur le niveau marin et présagent de leur vulnérabilité aux variations de température.

 

Dans le cadre du réchauffement climatique, le dernier rapport du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) a rappelé que la réponse des calottes polaires est soudaine, rapide et s’accélère. L’augmentation consécutive du niveau des océans a été évaluée entre 26 cm et 98 cm d’ici à 2100, dans le scénario le plus pessimiste envisagé (voir illustration ci-contre). De récentes études montrent que cette augmentation risque d’affecter en priorité les zones côtières les plus densément peuplées et ayant le niveau de vie le plus bas de la planète, mais les larges incertitudes associées à ces projections affaiblissent les conclusions. On comprend alors la nécessité d’améliorer la connaissance des processus dynamiques liés à la réponse glaciaire.

 

Afin d’évaluer le comportement des calottes polaires et de représenter au mieux leur écoulement, on utilise des modèles numériques dont la majorité repose sur les équations de la mécanique des fluides. Mais dans son rapport de 2007, le GIEC a rappelé l’importance des mécanismes ayant lieu au front des glaciers et il a dénoncé leur sous-représentation dans les modèles. C’est cette constatation qui a motivé mon travail.

La naissance d’un iceberg

La décharge d’iceberg, aussi appelé « vêlage », correspond au transfert mécanique de glace depuis le front du glacier émissaire, exutoire de la calotte polaire, jusqu’à l’océan. Son intégration dans les modèles est loin d’être évidente : ces dernières années, au mieux, les modèles de vêlage se limitaient à l’étude de la partie terminale du glacier et évaluaient si les contraintes subies par la glace dans une situation donnée étaient suffisantes pour permettre sa fracturation ou non. Mais dans la majorité des cas, le front était simplement représenté comme une surface immobile.

 

En réalité, le vêlage d’iceberg est l’aboutissement de nombreux mécanismes et peut être le théâtre de rétroactions complexes entre la dynamique du front et celle du glacier situé en amont. Dans le cadre de cette thèse, je me suis attaché à développer un modèle de vêlage englobant l’ensemble des phénomènes affectant la glace, de l'endommagement lent à la fracturation rapide.

Champ de crevasse en surface du glacier Totten en Antarctique. La glace ainsi endommagée est transportée avec l’écoulement. Photo : Bruno Jourdain
Champ de crevasse en surface du glacier Totten en Antarctique. La glace ainsi endommagée est transportée avec l’écoulement. Photo : Bruno Jourdain

 

 

 

(a) Aux longues échelles de temps (semaines, mois, années), l’écoulement de la glace est visqueux et peut être comparé à celui du miel. En s'écoulant, elle subit diverses contraintes mécaniques qui peuvent conduire à la dégradation de ses propriétés physiques : des champs de crevasse apparaissent et sont transportés avec le flux de glace. La mécanique de l’endommagement permet de représenter ce phénomène en considérant que la glace endommagée devient plus fluide et s’écoule plus facilement.

 

 

 

 

 

 

 

(b) Lorsque le glacier est suffisamment endommagé, à proximité du front, une crevasse peut alors se propager à travers la glace et entraîner la création d'un iceberg (voir ci-contre). Cette propagation s’opère à une vitesse supérieure à celle du son et l’on considère alors la glace comme un matériau fragile, au sens mécanique du terme. Dans le modèle proposé, ce phénomène est représenté au moyen de la mécanique de la rupture linéaire élastique.

Terminus du glacier Totten. La glace, hautement fracturée, peut se détacher du glacier et former un iceberg. Photo : Bruno Jourdain
Terminus du glacier Totten. La glace, hautement fracturée, peut se détacher du glacier et former un iceberg. Photo : Bruno Jourdain

Application du modèle et simulations glaciaires

Modélisation en deux dimensions de l’écoulement du glacier Helheim, au Groenland. Le champ de vitesse est illustré en échelle de couleur. Le front du glacier est posé sur le socle rocheux (brun) et en contact avec l’océan (bleu).
Modélisation en deux dimensions de l’écoulement du glacier Helheim, au Groenland. Le champ de vitesse est illustré en échelle de couleur. Le front du glacier est posé sur le socle rocheux (brun) et en contact avec l’océan (bleu).

Une fois couplées, ces deux approches ont été intégrées au sein d’un modèle d’écoulement de glace largement employé dans la communauté glaciologique. Pour en calibrer les paramètres, j’ai représenté l’écoulement simplifié d’un glacier émissaire groenlandais, le glacier Helheim, en deux dimensions, le long d’une ligne d’écoulement (voir figure ci-dessus). Plusieurs centaines de simulations m’ont permis de valider son comportement, tester sa fiabilité et évaluer ses limites

Cette approche conjointe de la mécanique de l’endommagement et de la rupture permet à présent un traitement plus rigoureux de la physique du front. En outre, il facilite la représentation de certains processus particuliers couramment observés dans les fjords groenlandais. En hiver, la fréquence des événements de vêlage diminue. Le front du glacier avance et l’écoulement décélère, en même temps qu’une couche de banquise se forme à la surface de la mer en emprisonnant les icebergs présents (cette mixture est aussi appelée « mélange de glace », voir photo de gauche). En été, le processus s’inverse : la banquise fond, le glacier vêle à nouveau, le front recule et l'écoulement de glace s’accélère, alors que des courants océaniques « chauds » pénètrent dans le fjord et fondent la partie immergée du front.

Iceberg hautement fracturé piégé dans la banquise, au front du glacier de l’Astrolabe, en Antarctique. Photo : Bruno Jourdain
Iceberg hautement fracturé piégé dans la banquise, au front du glacier de l’Astrolabe, en Antarctique. Photo : Bruno Jourdain

J’ai choisi de modéliser ces processus saisonniers (mélange et fonte). Les résultats démontrent le rôle prépondérant du mélange de glace dans les cycles d’avancée et de retrait glaciaires. Ils montrent également que la fonte de la partie immergée du front ne joue qu’un rôle secondaire. Ces travaux, fruit de plusieurs centaines de simulations menées sur un large panel de géométries glaciaires, contribuent à améliorer la compréhension et la modélisation de ces processus. En raison de sa complexité, ce modèle est destiné à une utilisation ciblée sur l’étude de mécanismes à fine échelle. Néanmoins, s’il est numériquement trop lourd pour simuler le comportement de l’Antarctique ou du Groenland dans leur ensemble, il pourrait servir de référence afin de qualifier d’autres approches, portables et simplifiées, plus facile à intégrer dans les modèles d’évolution de calottes.

Mots-Clefs : Calotte polaire, Plateforme flottante, Vêlage d'iceberg, Mécanique de la rupture, Mécanique de l'endommagement, Modélisation par éléments finis


Ice sheets and the climate system

Polar ice-sheets discharge and subsequent sea level rise is a major concern. Warming climate affects the behaviour of tidewater outlets glaciers and increases their ice discharge. As they drain the ice flow toward the ocean, it is pivotal to incorporate their dynamics when modelling the ice-sheet response to global warming. However, tidewater glacier dynamics is still complicated to understand, as they are believed to involve many feedbacks. The one between calving margin dynamics and glacier general dynamics is fundamental.

Global mean sea level rise depending on the four RCPs scenarios for GHG's emission to the horizon 2100.

Source : IPCC report, summary for Policymakers, 2013


Highly fractured ice front of a Svalbard Glacier.

Glacier-margin ice discharge

This PhD thesis focuses on modelling the calving front of outlet glaciers, in order to enhance the representation of physical processes occurring at their margin. To do so, we build up a new framework for calving based on damage mechanics and fracture mechanics. This allows us to represent the slow degradation of the ice rheological properties from a virgin state to the appearance of a crevasse field, as well as the rapid fracture propagation associated with calving events. Our model is then constrained within a 2D flow-line representation of Helheim Glacier, Greenland. We find some parameters sets for which the glacier behaviour is coherent with its past evolution. Sensitivity tests are carried out and they reveal the significance of each model parameter.


Study of seasonnal processes

This new calving law is then employed to study the impact of submarine frontal melting and ice mélange (heterogeneous mixture of sea-ice and icebergs) on glacier dynamics. These two forcings are usually suspected to be responsible for the seasonal variations of the calving margin. Our results show that both forcings impact the front dynamics. The melting, however, only slightly changes the front position, when the ice mélange can force the glacier front to displace up to a few kilometers. Additionally, if the melting at the front is not sufficient to affect the inter-annual mass balance, this is not obvious when forced by ice mélange. At last, our model highlights a feature which is specific to floating glaciers: for the strongest forcings, the glacier equilibrium may be modified, as well as its pluri-annual mass balance.

Illustrative example of the glacier shape. The simulation is performed with the Elmer/Ice ice flow model. The ice velocity is illustrated with the colorscale. (a) shape of the glacier. (b) Zoom on the terminus, along with mesh.


Keywords : Ice-Sheet, Ice-Shelf, Iceberg Calving, Fracture Mechanics, Damage Mechanics, Finite Element Modeling