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Pastille Climat #7 : La destabilitsation de l'Antarctique.

Crédit illustration : Art from the series Environmental Graphiti® - The Art of Climate Change by Alisa Singer. https://www.environmentalgraphiti.org

Pastille Climat #7 :

Aujourd’hui, c’est un peu programme libre. Comme au patinage, oui. Et comme en patinage, on parle pas mal de glace (vous noterez la qualité de la transition), je vais m’intéresser à un sujet qui passionne de plus en plus les journaux : le glacier Thwaites. Celui que l’on surnomme le « glacier de l’apocalypse ».
Parés ? C’est parti !

 

Pour aller plus loin :

Dans l’article précédent, j’évoquai la possibilité considérée par le GIEC d’une augmentation du niveau de la mer bien plus rapide que prévu. Le graphique associé montrait une ligne en rouge pointillé en hausse assez inquiétante, associée à l’explication : « Scénario peu vraisemblable et à fort impact, supposant des processus de déstabilisation des calottes de glace pour le scénario SSP5-8.5 ». Vous vous souvenez ? Non ?

Pour la peine, je vous remets le graphique ci-dessous :

Variation de la moyenne mondiale du niveau des océans par rapport à 1900 (GIEC).

A propos de cette ligne, j’avais alors dit que les processus évoqués étaient encore relativement mal connu, mais qu’on suspectait une région de l’Antarctique de l’Ouest, plus précisément, le glacier Thwaites, d’y être particulièrement soumis. Et bien, voici de quoi je vais parler dans ce billet.

 

Alors, sur internet, il y a déjà pleeeeiiiiiiinnnn d’articles qui expliquent globalement ce qui se passe. Ce que je vous propose ici, c’est de rentrer un peu plus dans les détails et d’expliquer les processus en jeu. En plus d’être passionnant, ça vous offre un fantastique sujet de discussion pour votre prochaine réunion de famille.

Mais tout d’abord, quelques faits.

Thwaites est un gros glacier. Très gros. Taille de la Floride, environ. À lui seul, ce glacier contribue actuellement à 4 % de la hausse du niveau des océans. L’image ci-dessous (du site Reporterre) vous illustre la situation.

Géographie du glacier Thwaites (article)

Premier point : vous noterez la présence d’un trait de côte, en pointillés noirs, sur le glacier. À la droite de ce trait, la glace est posée sur le socle rocheux. À gauche, la glace est flottante. Cette ligne pointillée, on l’appelle aussi ligne d’échouage. Elle est d’importance, car toute la glace qui franchit la ligne d’échouage devient flottante et contribue ainsi à l’augmentation du niveau des mers (et ce, quand bien même elle reste attachée au glacier). Cette plateforme de glace a un second impact et pas des moindres : elle stabilise le glacier. Elle agit comme une sorte de bouchon qui ralentit l’écoulement de la glace.

Deuxième point (qui aura son importance pour la suite) : le flux de glace qui s’écoule à la verticale de la ligne d’échouage dépend de l’épaisseur de la glace. C’est comme ça, c’est mathématique. Plus l’épaisseur de glace sera grande, plus le débit sera important. Pour les plus mathématiciens d’entre vous, vous apprendrez, en plus, que cette relation n’est pas linéaire. Et pour les vrai fifous, je vous renvoie à la publication citée à la fin de ce billet.

Troisième point : la forme du socle rocheux. En amont de la ligne d’échouage (à droite du trait de côte), le glacier de Thwaites repose sur un socle rocheux dont la pente s’approfondit à mesure que l’on remonte vers l’amont (dans notre cas, vers le sud-ouest). En somme, c’est comme si la ligne d’échouage se trouvait au sommet d’un col. Ce détail aussi aura son importance pour la suite.

Petit voyage dans le monde des rétroactions.

Il y a une quinzaine d’années, un mathématicien a montré, théoriquement, que les glaciers qui présentent la même forme du socle rocheux que le glacier de Thwaites peuvent, dans certaines situations, devenir instables. Pour faire simple, l’article explique que si la ligne d’échouage venait à se « déplacer » dans la pente du socle rocheux (vers la droite de l’image), alors, un mécanisme de rétroaction risquait de se mettre en place. Ce mécanisme repose sur nos points deux et trois explicités ci-dessus : si la ligne d’échouage recule sur un socle rocheux plus profond, alors, l’épaisseur de glace augmente (point 3). Et si l’épaisseur de glace augmente, le flux qui s’écoule au niveau de la ligne d’échouage, également (point 2). Or, si ce flux augmente, alors, le glacier va s’amincir et - c'est là qu'Archimède entre en jeu - se mettre à flotter.


Archimède en plein entraînement

La ligne d’échouage va donc mécaniquement continuer à reculer. L’épaisseur de glace va augmenter, etc. Un cercle vicieux portant le doux nom d’instabilité dynamique s’enclenche et se poursuit jusqu’à ce que la ligne d’échouage atteigne le fond de la vallée.

 

Bien qu'auteur, j'ai conscience qu'un schéma vaut mieux que mille mots. Je vous propose donc l'illustration de ce phénomène, extraite du rapport du GIEC de 2019 sur l'océan et la cryosphère.

Illustration du processus d'instabilité dynamique. IPCC SROCC (2019) Fig CB8.1a

Or, dans le cas du glacier Thwaites, le fond de la vallée est loin, très loin à l’intérieur des terres. La quantité de glace déversée dans l’océan pourrait être énorme. Par ailleurs, la déstabilisation de ce glacier pourrait être l’élément déclencheur d’une déstabilisation de toute la partie ouest de l’Antarctique. Soit, à terme, un potentiel de 3m d’augmentation au niveau mondial. C’est vous dire s’il y a de quoi s’inquiéter.

« Scénario peu vraisemblable et à fort impact »

Et le GIEC dans tout ça ?

Pour faire simple, on sait déjà pas mal de choses sur Thwaites. On sait que la partie flottante (située à gauche de la ligne d’échouage sur l’image ci-dessus, je rappelle) s’est amincie entre 10 et 33 % depuis 1978. On sait qu’elle est sujette à des phénomènes de fonte variables, toutefois assez prononcés. Aux alentours des 1160 Gt/an en 2018.

Alors, d’où vient cette augmentation de la fonte ? Encore une fois, c’est assez subtil. Sans en être certain, le rapport du GIEC suggère qu’une modification du régime des vents suite aux émissions de gaz à effet de serre pourrait avoir, par interaction avec l’océan, facilité la remontée d’eaux chaudes profondes du courant circumpolaire (un gros courant océanique qui tourne autour de l’Antarctique). Cette eau chaude pourrait ensuite se glisser sous la plateforme flottante et venir la fragiliser, tout en rognant la ligne d’échouage. Je vous l’avais dit, c’est complexe.

En pratique, on sait aussi que la fonte et la fragilisation de la plateforme de glace sont déjà en train d’opérer. La ligne d’échouage s’est retirée, par endroits, de près de 14km entre 1992 et 2021.

« Peu vraisemblable » ? Pourquoi tant de prudence ?

Tout simplement, parce qu’il y a encore un sacré paquet de trucs à comprendre avant que le GIEC puisse statuer avec certitude sur l’évolution de ce glacier et, plus généralement, sur le sort de l’Antarctique de l’Ouest. Ces inconnues proviennent de :

  • la compréhension limitée des processus glaciaires et des interactions entre la glace et l’océan
  • la faible disponibilité des données d’observation (forme du socle rocheux, vitesse de fonte, etc.)
  • la mauvaise représentation de ces processus dans les modèles numériques
  • la sensibilité très forte des modèles numériques à certains paramètres et conditions limites
  • les incertitudes dans le forçage atmosphérique et océanique


Ce qui, globalement, pourrait se résumer plus simplement par : « Et si on rajoutait un peu de pognon dans la recherche publique ? »

C’est donc sur cette élégante formule qu’on arrive au bout de cette vulgarisation. En vrai, je ne vous cache pas que les processus sont un poil plus nombreux et complexes que ce que j’ai résumé ici (allez donc fouiller dans les sources ci-dessous pour en savoir plus).

Mais cette explication aura au moins le mérite d’épater la belle famille. En termes d’impact, c’est quand même ce qui compte le plus, non ?



Sources :

IPCC, 2021: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)]. Cambridge University Press. In Press.

 

Meredith, M., M. Sommerkorn, S. Cassotta, C. Derksen, A. Ekaykin, A. Hollowed, G. Kofinas, A. Mackintosh, J. Melbourne-Thomas, M.M.C. Muelbert, G. Ottersen, H. Pritchard, and E.A.G. Schuur, 2019: Polar Regions. In: IPCC Special Report on the Ocean and Cryosphere in a Changing Climate [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, V. Masson-Delmotte, P. Zhai, M. Tignor, E. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Nicolai, A. Okem, J. Petzold, B. Rama, N.M. Weyer (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, pp. 203-320. https://doi.org/10.1017/9781009157964.005.

 


DeConto, R.M. and D. Pollard, 2016: Contribution of Antarctica to past and future sea-level rise. Nature, 531(7596), 31, 591–597, doi:10.1038/nature17145.

DeConto, R.M., Pollard, D., Alley, R.B. et al., 2021: The Paris Climate Agreement and future sea-level rise from Antarctica. Nature 593, 83–89, doi :10.1038/s41586-021-03427-0

Schoof, C. 2007 : Ice sheet grounding line dynamics: Steady states, stability, and hysteresis. Journal of Geophysical Research: Earth Surface, 112(F3).

Vidéo assez limpide issue du projet International Thwaites Glacier Collaboration (https://thwaitesglacier.org/), à retrouver ci-dessous :

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