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Pastille Climat #8 : Le climat à l'épreuve du temps.

Crédit illustration : Art from the series Environmental Graphiti® - The Art of Climate Change by Alisa Singer. https://www.environmentalgraphiti.org

Pastille Climat #8 :

Dans le résumé à l'intention des décideurs, on peut lire, en paragraphe A.2.2, les lignes suivantes :

"La température de la surface terrestre a augmenté plus vite depuis 1970 que sur n’importe quelle période de 50 ans sur les derniers 2000 ans (degré de confiance élevée). Les températures sur la décennie la plus récente (2011-2020) excèdent celles de la plus récente ère climatique chaude, qui a eu lieu il y a environ 6500 ans (qui était entre 0.2 °C et 1 °C plus chaude par rapport à 1850-1900) (degré de confiance moyen). Avant ça, il faut remonter à 125 000 ans pour connaître une période chaude dont les températures dépassent celles observées dans la décennie récente [0.5 °C à 1.5 °C par rapport à 1850–1900] (degré de confiance moyen)."

 

Pour aller plus loin :

Beaucoup de chiffres, des dates. Et si on précisait tout ça ? C’est parti pour un retour dans le temps !

Comment évalue-t-on la température du passé ?

Avec des archives climatiques.
Bim. Question ? Réponse.

Bon.

En vrai, c’est une vaste question. Disons qu’il y a plusieurs méthodes. Mais quand il s’agit d’avoir un accès direct, on s’appuie sur des traces des variations du climat conservées quelque part sur terre. Ces archives climatiques peuvent consister en différents supports, en fonction, entre autres, de la période qu’on cherche à étudier.

    • Par exemple, pour connaître l’état du climat il y a plusieurs millions d’années, on peut utiliser des carottages – des forages – effectués dans les sédiments océaniques. On va y étudier des fossiles, des roches sédimentaires ou des isotopes de différents éléments chimiques, qui nous donneront des indications sur le contexte climatique dans lequel ils se sont formés.

    • Pour tout ce qui est mi-vieux – disons, quelques centaines de milliers d’années –, on réalise aussi des carottes, mais cette fois, dans la glace. Pour faire simple, on perce les calottes au Groenland, en Antarctique, ou les glaciers de montagne, et on étudie la composition des bulles d’air enfermées dans la glace. Pour cela, les glaciologues ont développé ce qu’on appelle le thermomètre isotopique. L’idée, un peu comme pour les roches, est d’étudier la composition des éléments chimiques présents dans la glace et dans les bulles d’air afin d’en déduire l’état de l’atmosphère à l’époque où ils se sont formés. En vrai, si vous voulez en savoir plus, allez donc jeter un œil à cette vidéo belle et bien explicative.

Sachez qu’un gros projet est en cours, en Antarctique, qui vise à trouver de la glace vieille de 1,5 million d’années. Rien que ça !

Projet de forage ambitieux



    • Enfin, pour ce qui est plus récent, on utilise d’autres méthodes qui sont hors de mon champ de compétence et sur lesquelles je ne m’étendrai pas. Parmi ces méthodes se trouve l’étude des cernes d’arbres. Elles nous fournissent de bonnes indications sur l’état du climat passé, à un niveau local.

À partir de là, ce n’est pas fini. Il faut rassembler les résultats, les harmoniser, en faire une moyenne planétaire. L’idée est qu’à la fin, on obtient le graphique ci-dessous.

Sur ce, je me tais et je laisse vos yeux s’écarquiller.

Adapté de Cross-Chapter Box 2.1, Figure 1 (GIEC, AR6, WG1)

Comment lire un graphe ?

Vous pensiez que l’affaire était dans le sac ? Et bien pas tout à fait. La lecture de ce graphique nécessite quelques prudences.
    • La première, c’est de faire attention à l’échelle horizontale. Elle représente le temps et elle n’est pas linéaire. Elle est multipliée par 40 pour la partie du milieu et par 1000 pour la partie de droite, par rapport aux périodes les plus anciennes.
    • La deuxième concerne les incertitudes verticales : le fameux characteristic uncertainty écrit en gris. Sachez qu’il y a toujours une incertitude sur les mesures. Je préfère le préciser parce que sinon, les scientifiques qui liront ce texte vont me tomber sur le râble. Et croyez-moi, on ne sort pas indemne d’une confrontation avec un chercheur émérite.

Pourquoi avoir mis des couleurs sur la pastille, au fait ?

Pour ceux qui se posent la question depuis le début, bravo. Pour les autres… Passons.

Commençons par la partie centrale du graphique, en vert. Entre 1 000 000 d’années et 100 000 ans avant notre ère, vous constatez des oscillations régulières. Il s’agit des alternances de périodes glaciaires et interglaciaires, autrement dit, d’oscillations climatiques déclenchées par des variations dans les paramètres orbitaux de la Terre. On parle des paramètres de Milankovitch. Depuis le refroidissement global signant le début du Quaternaire, il y a un peu plus de 2 000 000, ce sont elles qui ont dominé les variations du climat. C’est dans cette période qu’on retrouve les fameux 125 000 ans auxquels la pastille fait mention.

À droite, en bleu sombre, on aperçoit la fin de la dernière période glaciaire, il y a 20 000 ans, et le réchauffement des températures. Dans la foulée, on distingue la période interglaciaire dans laquelle on se trouve depuis, qui porte le doux nom d’Holocène (la ligne mauve). Dans la pastille, ci-dessus, on parlait de la « plus récente période climatique chaude ». Voilà à quoi elle correspond. Vous l’apprenez peut-être, mais sachez qu’à l’échelle mondiale, depuis 6500 ans environ, la température n’a fait que diminuer, en moyenne. Du moins, jusqu’à…

La révolution industrielle.

La petite ligne rouge. Vous voyez ? Si si, zoomez, c’est tout à droite !
Voici ce dans quoi on patauge depuis 150 ans. Depuis qu’on crame du combustible fossile à tour de bras. Les fameux 1,5 °C et 2,0 °C énoncés au cours de la COP21, c’est dans ce coin-là qu’il faut les chercher. Ce sont eux qu’on est en train d’approcher à toute berzingue (berzingue, oui). Ce sont eux qui risquent de nous faire dépasser le climat chaud du dernier interglaciaire, il y a 125 000 ans (le dernier petit pic vert).

Souvenir local : pour les quelques Lyonnais qui lisent ce texte, sachez que c’est lors de ce réchauffement, il y a 125 000 ans, qu’a été abandonné le Gros Caillou situé à Croix Rousse !

 

Tout est clair pour vous ?

C’est long. On arrive au bout ?

Presque.

Histoire de tasser encore quelques courbes à droite de votre écran, vous avez sûrement remarqué les traits rose pâlot et bleu mou. À côté, on peut lire la phrase suivante : Future projection ranging from SSP1-2.6 minimum to SSP5-8.5 maximum. Autrement dit, intervalles de projections des scénarios  SSP1-2.6 jusqu’au SSP5-8.5.
Vous vous souvenez des scénarios du diable ? Ces foutus machins dont on a déjà parlé dans les billets précédents ? Je vous avais dit qu’on en reparlerait. Et bien, ce graphique illustre justement dans quelle mesure les températures devraient s’élever à l’horizon 2100 (rose) et 2500 (bleu) si on aligne les trajectoires des pays dessus.

Un avenir pas forcément fifou, qui dépasse potentiellement des températures jamais vues depuis des dizaines de millions d’années.

Voilà.

Une pensée un peu plus personnelle, pour finir.

Si vous êtes arrivés au bout, déjà merci. Je profite de votre passion incroyable pour mes écrits pour faire passer un petit message. J’imagine qu’après 8 pastilles, vous comprenez déjà mieux les enjeux de la recherche, en particulier dans le domaine de la glaciologie et des pôles. Vous savez aussi sûrement que la recherche polaire bat de l’aile. Rien de nouveau, certes, mais les financements fondent tellement que le directeur de l’IPEV vient lui-même de claquer la porte, dénonçant un cruel manque de moyens (voir et ).

À côté de ça, vu la tronche des candidats en lice pour le second tour de la présidentielle, il faut bien admettre qu’il n’y a pas de quoi s’extasier.
Pourtant… Les faits sont là : d’après le GIEC, chaque demi-degré compte. Le problème conserve la même importance, que l’on soit à +1 °C, +1,5 °C, +2 °C, +3 °C. Qu’importent les aberrations politiques qui vont nous tomber sur le melon, il serait pire encore de baisser les bras sous prétexte que notre futur·e président·e s’en tamponne, du climat. Il reste des élections. Il reste de la mobilisation. Plus que jamais, il ne faut rien lâcher.

Nous pouvons les forcer à agir. Essayons.




Sources :

(GIEC, AR6, WG1, SPM, A.2.2) :
IPCC, 2021 : Summary for Policymakers. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)]. Cambridge University Press. In Press.

L’excellent site : https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/variations-climatiques-bases.xml

Pour les fanatiques de carotte de glace et de Claude Lorius, allez donc vous perdre là :

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