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Pastille Climat #14 : Modèles climatiques et échelle locale..

Crédit illustration : Art from the series Environmental Graphiti® - The Art of Climate Change by Alisa Singer. https://www.environmentalgraphiti.org

Pastille Climat #14 :

« Les développements récents intégrés à la dernière génération modèles de climat, et incluant une meilleure représentation des processus physiques, chimiques et biologiques, ainsi qu’une meilleure résolution du maillage, ont contribué à améliorer les simulations climatiques pour la plupart des indicateurs à grande échelle du changement climatique (degré de confiance élevé), et pour de nombreux autres aspects du système Terre. »

(AR6, WGI, TS, §1.2.2)

 

Pour aller plus loin :

Vous avez peut-être vu passer cet article sur l’emballement du réchauffement climatique en France ? Oui ? Non ? Dans tous les cas, ne vous inquiétez pas. Notre ministre de la transition énergétique non plus. Elle préfère nous expliquer, en col roulé dans une pièce aux lumières éteintes (vous avez compris le message, c’est bon ?), qu’elle veille à la bonne conduite du dialogue social et de l’approvisionnement en carburant…

Rassurez-vous, moi, par contre, je suis sur le coup.
Du coup, aujourd’hui, on va discuter « réchauffement climatique à l’échelle régionale ». Mais pour parler de ça, il faut d’abord reparler un peu des modèles numériques. Parce que le GIEC n’est pas une assemblée de magiciens et qu’expliquer le fonctionnement des trucs climatiques, c’est quand même une des raisons d’être de ce blog !

Donc, comme on a pu l’aborder dans de précédentes pastilles, pour estimer l’impact du réchauffement climatique, on utilise des modèles climatiques. Ces modèles consistent à résoudre les équations de la physique associées à la description des grands mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement de la planète. Globalement, il s’agit de calculer les échanges de matière et d’énergie qui affectent la Terre (par exemple, le mouvement des océans, de la glace, la circulation atmosphérique, les réactions chimiques, l’impact anthropique, etc.).

Le problème, c’est qu’on ne peut pas résoudre ces équations une fois pour toutes, à la surface de la Terre. Ça n’aurait aucun sens, et ça ne permettrait pas de différencier la température qu’il fait à Paris de celle de New York. Les équations doivent donc être résolues en tout un tas de points du système. Pour se faire, on découpe numériquement la planète en un ensemble de cubes ou de tétraèdres, pour former ce qu’on appelle un maillage.

En plus de cela, pour connaître l’évolution dans le temps de ces données climatiques, il est nécessaire de représenter la dynamique du système. Ces équations, qu’on résout déjà en plusieurs points, on doit aussi les résoudre à différents instants. La durée entre deux instants s’appelle le pas de temps.

 


Exemple de maillage du système Terre-Atmosphère-Océan

En pratique, le choix du maillage et du pas de temps est assez complexe. Il dépend des équations qu’on cherche à résoudre, du système en question et des capacités numériques qu’on possède (si on a un gros PC ou pas).

Prenons un exemple, pour y voir plus clair : vous voulez mesurer l’effet, sur la France, au cours du mois de juin d’une vague de chaleur qui vient d’Afrique du Nord. Si vous avez un maillage de 1000 km et un pas de temps de 2 mois, vous comprenez que votre résultat ne sera pas assez précis. En revanche, si vous avez un maillage de 5cm et un pas de temps de 10min, là, vous aurez un résultat trop précis (je dis trop, car le volume de calculs nécessaires sera juste gigantesque, par rapport à ce qu’on veut calculer).

De toute manière, à l’heure actuelle, on n’est pas vraiment capable d’obtenir un raffinement de 5cm sur toute la planète. Pourtant, les choses s’améliorent. En vingt ans, on a fait des progrès insolents (insolents, oui) sur la qualité des maillages. Les images ci-dessous vous en donnent un exemple.

Évolution des tailles de maille depuis 1990 (GIEC, AR4)

Évolution des tailles de maille sur les dernières années (LSCE).

On est globalement passé d’un niveau de raffinement autour de 500km dans les années 1990 à environ 50km en 2020, pour des modèles résolvant les bilans de matière et d’énergie à très grande échelle. D’ailleurs, pour vous donner un ordre de grandeur, les simulations sur le climat peuvent rapidement nécessiter plusieurs semaines, voir plusieurs mois de calcul. C’est d’autant plus considérable que les scientifiques ne se contentent jamais d’une seule simulation. Mais plutôt, des centaines, voir des milliers. Or, toutes ces machines coûtent franchement super cher, et c’est d’ailleurs pour cette raison que les centres de calculs sont souvent partagés. Que ce soit au niveau national, européen ou même mondial.

En parlant d’Europe, justement !

Dans le cadre de l’AR6 (le sixième rapport du GIEC), l’accent a été mis sur l’aspect régional du changement climatique. C’est assez logique, d’ailleurs : une personnalité politique disposant de leviers pour lutter contre le réchauffement climatique s’intéressera davantage à ce qui se passe autour de chez elle, plutôt qu’à l’autre bout du monde. Il fallait donc lui fournir des informations détaillées.

Aussi, le GIEC a produit des fiches d’information régionales pour toutes les grandes régions du monde. En ce qui nous concerne, la fiche concernant l’Europe et le bassin méditerranéen est disponible ici.

L’aspect artistique du document est certes discutable, mais on doit lui reconnaître que tout ce qu’on a besoin de savoir y figure ! Sans rentrer dans les détails, on y apprend notamment que :
    • Quel que soit le niveau de réchauffement global, les températures, en Europe, augmenteront à un rythme plus important que le réchauffement global.
    • La fréquence des évènements extrêmes a augmenté par le passé, et va continuer à augmenter, quel que soit le scénario d’émissions des gaz à effets de serre.
    • Le déclin des glaciers, du permafrost et de la couverture neigeuse, de même que la diminution de la durée de la couverture neigeuse saisonnière à haute latitude ou haute altitude va se poursuivre si le réchauffement se poursuit.

Je vous entends déjà me dire : « Mais on sait déjà tout ça ! ».


Pour avoir assisté récemment à une réunion de mon syndic (je parle beaucoup de moi dans cette pastille !), je peux vous assurer que tout le monde n’est pas familier avec ces informations. Je ne perds donc rien à les répéter. Après, est-ce que les membres de ma co-pro lisent ces lignes, c’est une autre question.

Est-ce qu’on peut aller plus loin ?

Telle est la phrase fétiche du maître d’armes de mon club d’escrime. Et bien, sachez que la réponse est oui, bien sûr. Ça a même été prouvé récemment, dans un article paru le 4 octobre dernier dans le Earth System Dynamics, journal de la très sérieuse European Geoscience Union, et disponible en accès libre ici. (soit dit en passant, à mes yeux, le simple fait d’avoir un journal en peer-review et totalement open-access me suffit à lui prêter mon intérêt !)

Dans ce papier (auquel je faisais référence au début de cette pastille), on apprend que des chercheurs français de Météo-France ont contraint les scénarios utilisés dans le dernier rapport du GIEC avec les données climatiques – c’est-à-dire des observations, des mesures – conduites depuis le début des années 1900. Passé une manipulation mathématique, ils ont pu préciser un peu plus, au niveau national cette fois, comment les choses pourraient évoluer dans les prochaines décennies.

Et c’est la que le bât blesse. Les résultats ne sont franchement pas foufous. Pour vous en rendre compte, je fais appel à votre mémoire : vous souvenez-vous des estimations d’augmentation de température dont on avait parlé dans cette pastille, dans le scénario SSP2-4.5 (celui correspondant aux engagements des états faisant suite au protocole de Paris) ? On se dirigeait alors vers une augmentation globale des températures située entre 2,1 °C et 3,5 °C, d’ici 2100. Avec leur méthode, les scientifiques toulousains annoncent qu’en France, cette valeur pourrait tourner autour de 3,8°C en moyenne. La fourchette passerait donc de 2,9 °C à 4,8 °C.

Température moyenne de surface pour la France. En rose, les estimations mondiales du GIEC. En noir, les observations nationales. En rouge, les estimations de températures « contraintes ». Aurélien Ribes et al. 2022, « Earth Syst. Dynam. », 13, 1397-1415 (CC BY-4.0)

 

Pour redonner du contexte, sachez qu’au niveau mondial, nous sommes actuellement à 1,1°C de réchauffement. En France, celui-ci atteint déjà 1,7°C (le réchauffement est toujours plus marqué sur les terres que les océans). On parle donc d’étés à venir qui seraient en moyenne 5 °C plus chauds par rapport aux décennies 1900-1930. À titre de comparaison, celui qu’on vient de passer était environ 4°C plus chaud que la normale.

Voilà donc un aperçu de ce qui pourrait constituer bientôt la norme. Une norme que personne, personne ne veut vivre.

Quand Macron se rend au Salon de l’auto et promeut le tout électrique sans envisager la nécessité d’une réduction drastique du nombre de voitures, il est temps pour nous de nous indigner.

Quand Agnès Pannier-Runacher nous exhorte à éteindre nos lumières et à mettre des col-roulés, sans envisager une profonde restructuration de notre mode de consommation, il est temps pour nous de nous indigner.

Nous indigner contre le monde qu’on nous laisse, contre ces puissants qui dépouillent la planète en toute impunité, pour la simple raison qu’ils en ont les moyens, en sachant pertinemment qu’ils pourront toujours s’enfuir là où il fait frais, tandis que nous suerons dans nos appartements surchauffés. Nous indigner, enfin, contre ce gouvernement injuste qui les protège et qui nous méprise.

L’hiver s’annonce. D’ici deux mois, sous le froid pluvieux, nous serons tentés d’oublier cet été de l’enfer. Mais il ne faut pas. Le réchauffement climatique ne fait pas de pause. L’égoïsme de certains non plus. Nous sommes actuellement en pleine contestation sociale.
Agissons.

À la prochaine pastille !



Sources :

 

Ribes, A., Boé, J., Qasmi, S., Dubuisson, B., Douville, H., and Terray, L.: An updated assessment of past and future warming over France based on a regional observational constraint, Earth Syst. Dynam., 13, 1397–1415, https://doi.org/10.5194/esd-13-1397-2022, 2022.

 

Arias, P. A., N. Bellouin, E. Coppola, R. G. Jones, G. Krinner, J. Marotzke, V. Naik, M. D. Palmer, G-K. Plattner, J. Rogelj, M. Rojas, J. Sillmann, T. Storelvmo, P. W. Thorne, B. Trewin, K. Achuta Rao, B. Adhikary, R. P. Allan, K. Armour, G. Bala, R. Barimalala, S. Berger, J. G. Canadell, C. Cassou, A. Cherchi, W. Collins, W. D. Collins, S. L. Connors, S. Corti, F. Cruz, F. J. Dentener, C. Dereczynski, A. Di Luca, A.Diongue Niang, F. J. Doblas-Reyes, A. Dosio, H. Douville, F. Engelbrecht, V. Eyring, E. Fischer, P. Forster, B. Fox-Kemper, J. S. Fuglestvedt, J. C. Fyfe, N. P. Gillett, L. Goldfarb, I. Gorodetskaya, J. M. Gutierrez, R. Hamdi, E. Hawkins, H. T. Hewitt, P. Hope, A. S. Islam, C. Jones, D. S. Kaufman, R. E. Kopp, Y. Kosaka, J. Kossin, S. Krakovska, J-Y. Lee, J. Li, T. Mauritsen, T. K. Maycock, M. Meinshausen, S-K. Min, P. M. S. Monteiro, T. Ngo-Duc, F. Otto, I. Pinto, A. Pirani, K. Raghavan, R. Ranasinghe, A. C. Ruane, L. Ruiz, J-B. Sallée, B. H. Samset, S. Sathyendranath, S. I. Seneviratne, A. A. Sörensson, S. Szopa, I. Takayabu, A-M. Treguier, B. van den Hurk, R. Vautard, K. von Schuckmann, S. Zaehle, X. Zhang, K. Zickfeld, 2021, Technical Summary. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S. L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M. I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T. K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu and B. Zhou (eds.)]. Cambridge University Press. In Press.


https://www.youtube.com/watch?v=iP7hY9mgMHc

https://lejournal.cnrs.fr/articles/le-rechauffement-climatique-en-france-sannonce-pire-que-prevu

https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/en-france-le-rechauffement-climatique-s-annonce-pire-que-prevu-previennent-des-chercheurs-de-meteo-france-et-du-cnrs_5425420.html

https://www.rtl.fr/actu/politique/emmanuel-macron-au-mondial-de-l-auto-ce-qu-il-faut-retenir-de-sa-visite-7900196590

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