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AMOC : Après le jour d’après.

Mer de Baffin, Océan Arctique

Bonjour à toustes !

Le mois dernier, nous avons parlé dynamique océanique autour de l’Antarctique. Cette fois, je vous propose de rester sur l’océan, mais de repartir vers le nord, direction le Groenland. Car là-bas aussi, ça chauffe !

Bouillonnement océanique

On a déjà eu l’occasion d’en parler lors d’une lointaine pastille. Le réchauffement océanique est un sujet d’importance majeure. En plus d’être un puits de carbone, l’océan capture 90 % de la chaleur en excès produite sur Terre par nos activités (GIEC). Cette chaleur est ensuite redistribuée dans les couches océaniques, ce qui nous évite de surchauffer, nous autres, pauvres humains.


Dans un rapport de novembre 2023, l’Organisation Météorologique Mondiale indiquait que :

À compter de la fin du printemps boréal, les températures moyennes de surface de la mer ont atteint un niveau record pour cette période de l’année. D’avril à septembre (dernier mois pour lequel nous disposons de données), les températures ont atteint un niveau sans précédent, et les précédents records pour juillet, août et septembre ont été largement battus (d’environ 0,21 à 0,27 °C). Une chaleur exceptionnelle a été enregistrée dans l’est de l’Atlantique Nord, le golfe du Mexique et les Caraïbes, ainsi que dans de vastes zones de l’océan Austral, avec des vagues de chaleur marine généralisées.


Les dernières mesures (figure ci-dessous, de l’observatoire climatique Copernicus, publiée le 3 mars dernier) montrent que les 9 derniers mois ont été les plus chauds jamais enregistrés.

Mesure de la température océanique de surface. Les 9 derniers mois ont été les plus chauds jamais enregistrés.

En atlantique nord, ce réchauffement qu’il soit océanique ou atmosphérique, a des conséquences catastrophiques, en particulier sur la cryosphère arctique : diminution de la banquise, fonte de la calotte, rétroactions sur la circulation océanique et, par extension, sur la biosphère. Dans les récentes publications scientifiques portant sur ce sujet, deux en particulier ont attiré mon attention.

Les plateformes glaciaires du nord du Groenland en sursis

La première, c’est une étude publiée il y a quelques jours dans le magazine Nature (Wekerle et al., 2024). On y apprend que les glaciers situés les plus au nord de la Terre sont désormais eux aussi fortement affectés par le réchauffement de l’océan. L’étude porte sur l’un d’eux, le glacier 79N, lequel possède notamment une plateforme flottante. J’avais déjà parlé de l’état de ce glacier (ainsi que d’autres), dans cette pastille.

Mais l’objectif spécifique de cette nouvelle étude est de mieux comprendre quel forçage, entre le réchauffement atmosphérique et océanique, entraîne le plus de fonte au niveau de la base de la plateforme (risquant ainsi de la déstabiliser en entier). En effet, on sait que si le réchauffement océanique impacte directement la plateforme, le réchauffement atmosphérique, en intensifiant l’écoulement d’eau de fonte à la base du glacier, peut lui aussi augmenter la fonte basale de la plateforme.

Les chercheurs ont donc réalisé une série de simulations numériques dans lesquelles ils ont représenté précisément la forme de la cavité sous-glaciaire située sous la plateforme flottante. Ils en ont conclu que la variabilité interannuelle de la fonte basale, pour ce glacier en particulier, est principalement dictée par le réchauffement de l’océan. Or, on sait que les plateformes de ces glaciers sont capitales, car elles stabilisent tout le glacier situé en amont, et l’empêchent de glisser directement dans l’océan. Un réchauffement océanique prolongé pourrait donc déstabiliser même ces glaciers-là, et augmenter encore plus rapidement la contribution du Groenland à l’augmentation du niveau de la mer.

Le Groenland était déjà largement entamé par le réchauffement climatique, et cette étude ne fait que le confirmer.

AMOC, l’autre claque

L’autre sujet abordé par les récentes publications, c’est le fameux AMOC, l’acronyme pour Atlantic Meridional Overturning Circulation. En français : la circulation méridienne de retournement atlantique. Il s’agit de l’espèce de tapis roulant océanique remontant l’Atlantique en surface avant de plonger en profondeur au contact de l’océan arctique et de repartir vers le sud. Son parcours est illustré sur la figure ci-dessous :

GIEC, AR6

L’AMOC est un phénomène étudié par les scientifiques depuis bien longtemps (voir ici et ). Ce qui les inquiète en particulier, c’est que le réchauffement climatique pourrait entraîner une modification de cette circulation océanique, avec des répercussions sur l’ensemble du globe. Au point qu’une interruption d’AMOC sert même d’élément déclencheur pour le film Le Jour d’Après.

Un film somme toute, pas foufou.

Ce processus d’effondrement est assez simple à comprendre : le réchauffement climatique augmente la fonte de la calotte groenlandaise, et son eau douce se déverse dans l’atlantique nord. En parallèle, le réchauffement entraîne une augmentation des précipitations en Atlantique Nord. Ces phénomènes mis ensemble modifient les conditions de salinité et de température de l’océan, et, tandis que jusqu’alors, ce dernier s’enfonçait dans les profondeurs en alimentant le tapis roulant océanique mondial, elle demeure désormais en surface, désactivant ainsi la pompe. La circulation océanique mondiale en devient changée, avec des répercussions multiples sur la circulation atmosphérique, impactant (notamment, mais pas exclusivement) le climat en Europe.

Jusqu’à présent, les conclusions du GIEC dans son sixième rapport étaient assez claires : un effondrement de l'AMOC est considéré comme très improbable pour les scénarios de faibles émissions, mais plus probable pour les scénarios à fortes émissions d'ici 2300 (IPCC SR OC SPM). Légère incertitude, donc.

Mais depuis la rédaction de ce rapport, plusieurs articles ont été publiés. Un dont j’avais déjà parlé (Divetsen et al., 2023), dans lequel les deux auteurs estiment un effondrement de l’AMOC à l’horizon de la moitié du 21e siècle si la tendance climatique actuelle se poursuit. À cet article s’y ajoute désormais un autre, publié dans Science (René van Westen et al., 2024) le mois dernier. Plutôt qu’une prévision absolue, cet article propose une métrique pour mieux observer les prémisses d’un effondrement d’AMOC. Celle-ci reposerait sur une observation du transport d’eau douce au niveau de l’Atlantique Sud (34°S). Plus précisément, selon les auteurs de l’étude, en mesurant l’intensité du flux d’eau dans l’Atlantique, on pourrait détecter directement et quelques années à l’avance (environ 25ans) l’approche du point de bascule et un éventuel effondrement d’AMOC.

Pour obtenir de tels résultats, les scientifiques ont modélisé l’ajout progressif d’eau douce entre 20°N et 50°N pendant un certain temps (le temps varie en fonction des simulations effectuées), tout en mesurant l’intensité du flux d’eau en atlantique sud. Pour info, l’unité de mesure de ce débit est le Sverdrup, noté Sv (1 Sv = 1 millions de m3/s). Dans une de leur expérience (laquelle porte sur 2000 ans), au bout de 1750 ans, se produit une rupture franche de cette circulation, comme montré sur la figure ci-dessous.

Extrait de la figure 1 de René van Westen et al., 2024, montrant la chute brutale de l’intensité du courant AMOC dans une de leurs expériences.

Quant aux conséquences d’une telle rupture, l’étude confirme qu’un effondrement d’AMOC aurait des impacts sévères sur la redistribution de la chaleur au niveau mondial, entraînant un refroidissement de l’hémisphère nord et un léger réchauffement de l’hémisphère sud, avec dans le nord une tendance de diminution de température de près de 3°C par décennie. Pour vous donner un ordre de grandeur, actuellement, la température augmente d’environ 0.2°C par décennie.

Variation des températures / précipitation avant (rouge) et après (bleu) l’effondrement d’AMOC.

Ainsi, cette situation, même si elle reste pour l’instant de l’ordre d’une modélisation numérique, est à prendre au sérieux. Car elle souligne surtout que nous avons besoin d’améliorer nos politiques d’adaptations pour surmonter des changements à venir. Quant aux conséquences d’un tel changement, si on peut penser qu’un refroidissement dans le nord serait une bonne chose, il n’en est rien. Cet article de Bon Pote l’explique savamment.

Quant à nous…

À ce sujet, redisons-le, nous ne sommes pas au niveau. Que ce soit sur la question de l’A69, sur celle des mégabassines ou, plus récemment, sur les reculs écologiques dans le contexte de la crise du milieu agricole, les décisions du gouvernement vont clairement à l’encontre du bien du plus grand nombre. Il y a quelques jours, 10 milliards d’euros de coupe budgétaire ont été décidés par le gouvernement, pour soi-disant préserver nos finances. Sur ces 10 milliards, 2,4 concernent des dispositifs liés à la transition énergétique ou à l’aide aux plus précaires. Suivent l’éducation et la recherche, l’aide au développement, le logement, la culture. Autant de postes liées à la connaissance du monde et à la justice sociale, nécessaires pour parvenir à effectuer une transition écologique équitable et juste.

Lors de la COP28, les dirigeants se sont autocongratulés de la mise en place d’un « Fond pour les Pertes et Dommages » destiné aux communautés les plus vulnérables. La France s’est targuée d’une promesse de don de 100 millions d’euros (pour comparaison, Bernard Arnaud avait donné 200 millions pour reconstruire la flèche de Notre-Dame, il y a trois ans…). Mis ensemble, les dons des pays développés atteignent actuellement 700 millions de dollars (source : Oxfam). Or, les besoins pourraient atteindre les 500 milliards par an. Il n’y a vraiment pas de quoi faire le fier, tant cette mesure est dérisoire.

Les scientifiques le disent depuis des années. L’atténuation et l’adaptation au changement climatique coûtent cher. Mais plus on attend, plus ce coût sera élevé. Les années passent et les décisions piétinent. Les sept dernières années nous ont amené la preuve que l’écologie et le climat ne sont pas la priorité de nos dirigeants.

Il est temps que les choses changent.


Sources :

 

https://www.oxfamfrance.org/climat-et-energie/bilan-cop28-2023/

https://wmo.int/fr/news/media-centre/un-climat-2023-record-avec-des-repercussions-majeures

Ditlevsen, P., Ditlevsen, S. Warning of a forthcoming collapse of the Atlantic meridional overturning circulation. Nat Commun 14, 4254 (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-39810-w

René M. van Westen et al., Physics-based early warning signal shows that AMOC is on tipping course.Sci. Adv.10,eadk1189(2024).DOI:10.1126/sciadv.adk1189


Wekerle, C., McPherson, R., von Appen, WJ. et al. Atlantic Water warming increases melt below Northeast Greenland’s last floating ice tongue. Nat Commun 15, 1336 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-45650-z

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