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Antarctique : toujours plus d'eau chaude !

Cimetière d'iceberg (Savissivik, Groenland)
Photo : Mathys Nicolas (voir son site ici)

Bonjour à tous.tes !
De retour après quelques semaines d'absence. Pourtant, il s'en est passé, des choses, sur la scène du climat. Il y en a même pour toutes les couleurs ! C'est parti.


Une bonne dose d’eau chaude...

Le premier article dont je voulais vous parler concerne la déstabilisation de la calotte polaire antarctique. J’ai déjà eu maintes fois l’occasion d’aborder le sujet. Par exemple, ici ou
. Mais à chaque fois, la zone concernée était celle de l’Antarctique de l’Ouest. Et bien, un article tout frais publié dans Nature Climate Change le 20 septembre dernier rebat un peu les cartes (Hill et al., 2024).

Petit rappel du mécanisme : 
Le principe est assez facile à comprendre. Du fait du réchauffement climatique, l’océan se réchauffe. Parfois, une partie de ces eaux vient s’immiscer sous les plateformes flottantes qui bordent l’Antarctique et commence à fondre la glace par en-dessous, en particulier au niveau de la ligne d’échouage (voir figure ci-dessous). En conséquence, la ligne d’échouage se met à reculer et si, par malchance, elle se trouve sur une pente rocheuse similaire au schéma ci-dessous, alors les lois de la physique prédisent qu’elle subira un retrait irréversible jusqu’à atteindre le bas de la pente. Et autant de glace envoyée directement dans l’eau, et qui contribuera à l’augmentation du niveau marin. Alors, bien sûr, c’est un peu plus complexe en réalité, mais l’idée générale est là.

Une calotte polaire bien sombre à l’albedo faible. Photo prise en aout 2019 dans le Groenland de l’Ouest (Caspar Haarløv)

Or, on sait déjà que ces cavités océaniques sont en train de se réchauffer. Non seulement dans le secteur de la mer d’Amundsen (où se trouve le glacier de Thwaites, dont parlent tous les médias) bien sûr, mais aussi sous les deux plus grandes plateformes d’Antarctique (Ross et Ronne-Filchner). Cependant, l’impact de ce phénomène sur ces deux plateformes n’avait jamais été quantifié, alors que cela avait été fait pour le secteur d’Amundsen.

Jusqu’à présent, du moins.

Pour se faire, les auteurs de l’étude ont combiné un modèle d’écoulement de glace à plusieurs modèles de circulation océanique sous les plateformes (la tâche n’est pas simple, car historiquement, les communautés de glaciologues et d’océanologues ne travaillent pas forcément ensemble, et ça fait seulement 10 à 15 ans qu’on commence à coupler ces modèles). Et ils ont montré qu’un réchauffement de la base de ces plateformes pourrait bien mener à des déstabilisations et/ou retraits de lignes d’échouage sur plusieurs des glaciers qui alimentent ces plateformes. En conséquence, la perte de glace des bassins versants de ces glaciers pourrait s’accélérer, et la situation pourrait devenir similaire à celle actuellement en cours dans le secteur d’Amundsen. L’ampleur de ces conséquences est illustrée sur la figure ci-dessous.

Figure adaptée de Hill et al., 2024, montrant un exemple de retrait de ligne d’échouage (lignes en échelle de couleur bleutée) sur les glaciers Bindschadler et Möller, à comparer à ce qui se passe sur Thwaites.

 

… un sacré coup de vent...

Cette deuxième partie est un peu plus technique. On s’intéresse cette fois à la Mer de Ross, en Antarctique (voir carte ici). Ce coin est particulièrement connu, c’est la qu’on trouve notamment les volcans Erebus et Terror, et c’est de là que sont parties les expéditions de Scott et d’Amundsen à la conquête du pôle sud. 


Petit rappel d’océanographie

La mer de Ross est un peu particulière, car elle possède ce qu’on appelle une polynie. Pour l’expliquer simplement, une polynie est une surface de l’océan qui devrait être recouverte de banquise, mais qui ne l’est pas. Il existe souvent plusieurs explications de ce phénomène (vent, flux de chaleurs, etc.), mais dans le cas de la mer de Ross, tout est lié au régime atmosphérique. Des vents forts (dit catabatiques), qui peuvent dépasser les 300km/h, soufflent régulièrement au-dessus de la région, ce qui a tendance à « pousser » la jeune banquise vers le large, laissant toujours une surface d’eau libre, comme on peut le voir sur la figure ci-dessous.

Polynie de la mer de Ross (Nasa)

Quant à la polynie, elle joue un rôle fondamental sur la circulation océanique. Sa présence entraîne un important refroidissement des eaux de surface, lesquelles vont naturellement plonger en profondeur, jusqu’à atteindre le socle rocheux. Cette convection est appelée Dense Shelf Water (DSW). Et cette eau plus dense que la moyenne alimente ensuite à hauteur de 20%-40% un autre courant océanique profond qu’on appelle Antarctic Bottom Water (AABW), et c’est ce AABW qui alimente enfin la circulation océanique mondiale (pour mieux comprendre, vous pouvez regarder l’illustration ci-dessous ou consulter une précédente pastille qui parle de la circulation océanique !).

Production de DSW et son impact sur le AABW en fonction du mode du SAM (Zhang et al., 2024)

Si je vous parle de tout cela, c’est parce qu’une nouvelle étude vient de soulever une série d’inquiétudes à ce sujet. Une étude produite par une équipe de recherche internationale, constituée de chercheurs chinois, italiens, australiens, américains et britanniques, et publiée le 18 septembre dernier dans le magazine Nature Communications (Zhang et al., 2024).

Mais pour bien comprendre les résultats des chercheurs, il faut également connaître deux choses.
    • La première, c’est le SAM (Mode Annulaire Austral, aka Oscillation Australe), dont j’ai déjà parlé récemment, ici et . Une sorte d’oscillation atmosphérique naturelle orientée nord-sud, et qui affecte le régime des vents dans la région.
    • Le second, c’est l’existence d’une zone de basse pression, appelée Amundsen Sea Low (ASL), située à proximité de la mer de Ross. Évidemment, cette zone elle aussi se déplace plus ou moins dans la région, d’une année sur l’autre.

Bon, maintenant qu’on a toutes les données en main, que nous dit cet article ?

Un régime des vents tout modifié !

En combinant des observations in situ avec des modélisations numériques et des données satellites, les auteurs ont montré qu’il existe une corrélation importante entre la production de Dense Shelf Watter et l’Oscillation Australe. Ils ont également montré que cette corrélation est encore plus importante lorsque la dépression Amundsen Sea Low est faible, et lorsqu’elle s’est déplacée à l’est de la mer de Ross.

En somme, lorsque l’oscillation du SAM est telle qu’elle entraîne des vents forts et un air froid, la production de DSW s’intensifie. À l’inverse, lorsque le SAM oscille dans l’autre sens, la production de DSW faiblit. Et tout cela pourrait impacter fortement la formation d’eau profonde, le fameux AABW, et donc, la circulation océanique mondiale. Cette même circulation qui répartit la chaleur tout autour de la Terre, et qui, pour le dire simplement, permet la vie sur Terre telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Or, avec le réchauffement climatique, on s’attend à ce que le SAM soit perturbé. Et ces larges bouleversements atmosphériques pourraient impacter la future circulation océanique mondiale, et tout ce qui s’en suit.



… et un peu de vert !

Un dernier article pour finir cette pastille de rentrée, avec ce papier publié dans Nature Geoscience le 4 octobre dernier (Roland et al., 2024). C’est cette fois une équipe cent pour cent britannique qui a étudié le « verdissement » de la péninsule Antarctique. Autrement dit, dans quelle mesure la végétation (et plus particulièrement les mousses) se développe dans ce secteur, en lien avec le réchauffement climatique. C’est un apport d’autant plus important qu’on a beaucoup de connaissance sur les glaces, mais pas beaucoup sur tout ce qui tourne autour de la flore.

Pourtant, c’est bien une petite révolution qui se passe là-bas. Et grâce à des archives de données satellites capturées entre 1986 et 2021, les chercheurs ont noté une grande augmentation de la surface végétale sur la Péninsule Antarctique et sur les îles des Shetlands du Sud, porte d’entrée de l’Antarctique. D’ailleurs, leur conclusion est sans appel : la surface couverte par la végétation est passée de 0,863km² en 1986 à 11,947km² en 2021, avec une accélération entre 2016 et 2021. La figure suivante illustre leurs résultats.

Mesure de l’index de végétation par différence normalisée, un indicateur graphique permettant d’affirmer si une zone observée contient de la végétation ou non (en vert) (Roland et al., 2024).

Bien sûr, cet article parle principalement des mousses. Mais les chercheurs précisent que les mousses ont la capacité de coloniser « facilement » les espaces rocheux, et qu’à terme, elles peuvent former un substrat favorable à la pousse d’autres espèces de plantes vasculaires. La question est donc bien plus vaste qu’elle n’y parait, car elle traîne dans son sillage toute celle de la biosureté, des risques de contaminations par des espèces non endémiques et des questions de gouvernance dans cette zone où se rendent de plus en plus d’humains.

Le mot de la fin.

Il est donc plus que jamais capital de réduire nos émissions, source principale du réchauffement planétaire. Pour se faire, il faut construire un projet d’émissions solide et contraignant, avec des budgets carbone (c’est-à-dire, des quantités d’émission à respectées) précis, officiels et respectés. C’est loin d’être le cas aujourd’hui.

Rappelons-le, les budgets carbones définis dans la Stratégie Nationale Bas Carbone ont été dépassés (voir rapport du HCC, point 2.2.1), notamment à cause des baisses de capacité de stockage de carbone de la forêt française en souffrance, et quand bien même ils le seraient, ils sont insuffisants pour atteindre les objectifs européens de 55 % de réduction des émissions d’ici 2050. Par ailleurs, les lois programmatiques se font toujours attendre (en particulier, le PNACC, le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique), or elles sont capitales pour engager les politiques d’adaptations déclinées dans nos territoires. La Seine-Et-Marne vient de subir sa deuxième vague d’inondations en un mois, mais cela ne semble pas inquiéter le gouvernement, dont le Premier Ministre a annoncé lui-même sont souhait d’assouplir le dispositif « Zéro Artificialisation Nette » afin « revitaliser la construction de logements » .

Toutes ces informations sont des faits, pas des opinions.

Alors, en attendant que le gouvernement se mette enfin au travail, poursuivons donc nos efforts, nous citoyens, territoires, entreprises. En attendant que la réponse vienne du haut, faisons-là pousser du bas !

Et verdissons nos jardins, plutôt que l’Antarctique.


Sources :

 

https://earthobservatory.nasa.gov/images/76474/polynya-off-the-antarctic-coast

Schifano, N., Naveira-Garabato, A., Silvano, A. & Benboudjema, F. Formation des eaux profondes en Antarctique Partie I : Culture générale.

Zhang, Z., Xie, C., Castagno, P. et al. Evidence for large-scale climate forcing of dense shelf water variability in the Ross Sea. Nat Commun 15, 8190 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-52524-x

Hill, E.A., Gudmundsson, G.H. & Chandler, D.M. Ocean warming as a trigger for irreversible retreat of the Antarctic ice sheet. Nat. Clim. Chang. (2024). https://doi.org/10.1038/s41558-024-02134-8

Roland, T.P., Bartlett, O.T., Charman, D.J. et al. Sustained greening of the Antarctic Peninsula observed from satellites. Nat. Geosci. (2024). https://doi.org/10.1038/s41561-024-01564-5

 

Je vous invite à aller voir le site de Mathys, qui a réalisé la photo d'introduction : https://nicolasmathys.com/

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