Eté 2023 : quelles nouvelles des pôles ?

Banquise Arctique - Mer de Baffin

Bonjour à tout.es !

Le mois dernier, il y a eu plusieurs articles scientifiques passionnants sur les pôles. Certains ont été largement relayés par la presse, d’autres, quasiment pas. Je vous propose ici de rétablir une vague forme de justice polaire, en vous en relayant trois.

1. Disparition de la banquise arctique d’ici 2030.

C’est sûrement l’information dont les media ont le plus parlé. Elle provient d’un article scientifique publié en juin dernier dans le magazine Nature.

Dans cet article, les chercheurs expliquent avoir amélioré la façon dont les modèles numériques simulant l'évolution de la banquise répondent aux variations de gaz à effets de serre (GES). Ce faisant, ils ont obtenu des conclusions bien différentes que celles connues à ce jour, sur lesquelles s'appuie le dernier rapport du GIEC.

Pour résumer, jusqu’à présent, les études montraient que la banquise arctique pourrait totalement disparaître en septembre à partir de 2050, dans les scénarios d’émission de gaz à effet de serre intermédiaires et élevés.

Dans cet article, les scientifiques affirment trois choses :
    • La date à partir de laquelle la banquise pourrait disparaître n’est plus 2050, mais elle se situerait entre 2030 et 2050.

À ce sujet, petite digression : beaucoup de journaux ont titré de manière assez péremptoire que la banquise pourrait disparaître dès 2030. C’est vrai, mais pour être tout à fait rigoureux, il serait plus juste de dire qu’il y a moins de 5% de risque que la disparition se fasse avant 2030. La barre d’erreur (la surface grisée dans la figure ci-dessous) ne dit en rien que la disparition aura lieu pile-poil en 2030. D’ailleurs, quand on regarde le détail (Fig. 4e-h dans l’article en question, pour ceux qui veulent vraiment vérifier), on voit bien que la moyenne (le petit point coloré) se situe autour de 2040. En revanche, cette moyenne arrive clairement dix ans plus tôt qu’estimé par le GIEC, et ça, c’est inquiétant.
    • La disparition de la banquise concerne cette fois tous les scénarios d’émission de GES. Même ceux qui nous maintiennent en dessous de 1.5°C. Pour rappel, les scénarios, j’en parle ici. C’est pour ça que les journaux ont aussi souligné le côté inéluctable du phénomène. En somme, pour l’Arctique, c’est cuit.
    • Dernier point, cette disparition ne serait pas cantonnée au mois de septembre. Dans le scénario que l’on suit actuellement (SSP2-4.5), elle concernerait les mois d’aout à octobre, peut-être déjà juillet. C’est franchement une nouvelle assez terrible.

Évolution de la surface de banquise arctique pour plusieurs scénarios de GES. La tendance du GIEC (AR6) est donnée en noire et les modèles corrigés, en couleur (Kim et al., 2023).

2. Arctic, low, Antarctic, whoa…

C’est par ce titre évocateur que le centre national de recherche américain dédié à la neige et à la glace (NSICD) qualifie dans cet article le comportement actuel de la banquise antarctique. Et pour cause.

Voyez plutôt, sur l’image ci-dessous :

Évolution de la surface de banquise antarctique de 1979 à 2023 (NSIDC).

Cette courbe montre l’évolution de la surface de banquise antarctique entre les mois de mars et novembre et son analyse est assez intuituve. Les courbes colorées correspondent aux différentes années, de 1979 à 2021. La courbe bleue, c’est l’année 2023.

Ce qu'on y constate, c'est que si l’année 2022 (en pointillés roses) était déjà un record minimum, l’année 2023 explose littéralement les compteurs. Par rapport à l'extension moyenne de la banquise antarctique, il manquerait environ 2.6 millions de kilomètres carrés. Soit, l'équivalent de l'Argentine. Plus de quatre fois la France !

D’ailleurs, l’évolution de la banquise antarctique commence plus généralement à inquiéter les chercheurs. Dans cet article de 2021 sont présentées d’une autre manière les variations de l’extension de banquise antarctique depuis 1979. Je vous présente ci-dessous une de ses figures.

Évolution de la surface de banquise antarctique de 1979 à 2021 (Eayrs et al., 2021).

Le graphique est un peu plus délicat à interpréter, mais rien d’insurmontable. La ligne horizontale pointillée correspond à l’année 1979 et constitue la référence. Pour chaque mois des années suivantes, on mesure l’écart au mois correspondant de 1979. Ça donne la courbe bleue. Quand elle est positive, ça veut dire que la banquise s’est étendue par rapport à 1979. Quand elle est négative, c’est qu’elle s’est rétractée.

Or, ce qu’on constate, c’est qu’après plusieurs décennies d’une tendance à la hausse (la ligne jaune), depuis 2016, il y a désormais un retrait important de la surface de banquise.

Selon les auteurs de l’étude, l’explication serait à chercher du côté du couplage entre, d’un côté, un lent et long réchauffement océanique qui dure depuis plusieurs décennies et qui, pour faire simple, met le tintouin dans les courants marins qui bordent l’Antarctique, et de l’autre, une modification dans le régime des vents, apportant davantage de chaleur par le biais de l’atmosphère. Tout cela, bien entendu, conséquence du réchauffement climatique en cours.

En somme, tout cela est un nouveau signal envoyé par la planète, et bien mal relayé par les media.

3. Une vieille carotte tombée dans l’oubli

Ce dernier point concerne un article publié dans Science, le 21 juillet dernier. Un article a un titre incompréhensible, mais qui raconte une histoire passionnante.

En 1966, des militaires ont fait un forage glaciaire sur la calotte groenlandaise, à un endroit qui s’appelle Camp Century. Ils ont traversé un peu plus de 1000m de glace, jusqu’à atteindre le socle rocheux. De là, ils ont encore foré trois mètres, afin d'en retirer une dernière carotte sédimentaire. Carotte qui est ensuite tombée dans l’oubli. Tout ça pour ça, vous me direz. Certes. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Il y a quelques années, une équipe de scientifiques redécouvre cette carotte sédimentaire et décide de l’étudier. En analysant sa composition, ils découvrent que les sédiments qui composent sa couche superficielle portent des marqueurs prouvant qu’elle a été exposée à l’air libre pendant environ 16 000 ans, et cela, il y a environ 400 000 ans. Or, à l’époque, la terre est dans une période interglaciaire plus longue que la moyenne, et modérément chaude. La teneur en CO2 y est d’environ 286 ppm (parties par millions). Le niveau des océans y est 6 à 13m plus haut qu’aujourd’hui.

Les chercheurs ont ensuite utilisé des modèles d’écoulement de glace pour déterminer quelle forme pourrait avoir le Groenland, dans le cas où il n’y aurait pas de glace à Camp Century. Cela les a amenés à plusieurs possibilités, comme vous vous en doutez. Ces « formes » de calotte sont illustrées en couleur sur l’image ci-dessous.

Simulations de la forme de la calotte polaire groenlandaise satisfaisant la contrainte "Camp Century déglacé". L'augmentation du niveau de la mer correspondante est indiquée en couleur (Christ et al., 2023).

Sur cette image, le point vert illustre la position de Camp Century. En couleur, vous pouvez voir les différentes calottes qui satisfont la contrainte « Camp Century sans glace ». Forcément, à chaque couleur correspond un volume de glace différent, dont vous pouvez apprécier la valeur sur la légende. Ce qu’en ont déduit les auteurs, c’est que pour que Camp Century soit déglacée, il faudrait que le Groenland ait contribué à l’augmentation du niveau de la mer d’au moins 1,4m. Mais cette valeur pourrait atteindre presque 5m, dans certaines simulations.

Alors, non !
En vrai, cette histoire est passionnante, parce qu’elle nous apprend à quoi pouvait ressembler le Groenland il y a 400 000 ans et quelle quantité de glace il a pu envoyer dans l’océan, à cette époque-là. Or, pour estimer l’augmentation du niveau de la mer dans les siècles à venir, il est capital d’avoir des repères. De comprendre comment les choses se sont passées. À quelle vitesse ? Dans quel contexte ?

Par exemple, on sait qu’à l’époque, comme je le soulignais avant, la teneur en CO2 était de 286ppm. Actuellement, en juin 2023, elle est de 423ppm. Ainsi, même si nous suivions le scénario SSP2-4.5, dans lequel les concentrations de GES commencent à diminuer dès 2040, il faudrait 30 ans pour que la teneur en CO2 redescende à 380ppm, et elle se situerait alors encore 100ppm au-dessus de la valeur d’il y a 400 000 ans. Vous pouvez facilement en déduire la suite...

Quoi qu’il en soit, l’article se conclut sur cette phrase :
« Si une chaleur modérée […] au cours [de cette période interglaciaire (il y a 400 000 ans)] a entraîné une perte de glace substantielle du Groenland, alors un réchauffement anthropique rapide, prolongé et considérable entraînera probablement la fonte de la calotte (arctique), élèvera le niveau de la mer et déclenchera des rétroactions climatiques supplémentaires dans les siècles à venir. »

Comme quoi, une bonne conclusion, c’est toujours impactant.

Alors voilà. L’été est chaud, il est chaud partout, il est chaud pour tous et encore plus pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’y adapter. Nos calottes elles aussi, suent chaque année des centaines de gigatonnes de flotte. La terre est en train de crier haut et fort qu’on lui en impose trop. Bien trop.

Il serait temps que nos gouvernements s’en rendent compte.

Sources :

Kim, YH., Min, SK., Gillett, N.P. et al. Observationally-constrained projections of an ice-free Arctic even under a low emission scenario. Nat Commun 14, 3139 (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-38511-8

Eayrs, C., Li, X., Raphael, M.N. et al. Rapid decline in Antarctic sea ice in recent years hints at future change. Nat. Geosci. 14, 460–464 (2021). https://doi.org/10.1038/s41561-021-00768-3

NSIDC : https://nsidc.org

Suivi quotidien de la teneur en CO2 dans l'atmosphère : https://gml.noaa.gov/ccgg/trends/

GIEC : https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-i/